- CHANOINES RÉGULIERS
- CHANOINES RÉGULIERSDès les premiers siècles de l’Église, certains évêques, soucieux de mener avec leur clergé une vie de renoncement et de perfection évangéliques, groupèrent autour d’eux les clercs attachés au service de leur église. Dans la pauvreté volontaire, ils célébraient la liturgie et s’adonnaient au ministère pastoral. Ainsi saint Augustin (mort en 431), devenu évêque d’Hippone, voulut-il «avoir avec lui dans sa maison épiscopale un monastère de clercs». Dès lors, à côté de la vie religieuse monastique, menée de façon érémitique ou communautaire et dont les membres n’étaient pas nécessairement prêtres, apparaît une forme de vie religieuse sacerdotale regroupant une partie des prêtres d’un diocèse ou d’une église autour de leur évêque. Ces clercs figurent sur la liste (ou canon ) des prêtres rattachés à une église; ils vivent suivant des usages ou des règles (ou canones ): ce sont donc des canonici . Le mot apparaît pour la première fois en 520.Les chanoines réguliersLes conciles encouragèrent ces communautés épiscopales, qui s’inspiraient de la tradition scripturaire et patristique comme de l’idéal de la primitive Église. Lors de la renaissance carolingienne, les évêques Boniface et Chrodegang de Metz voulurent donner aux chanoines un statut leur permettant de mener une vie régulière dans la participation à la liturgie solennelle, et dans le partage d’un dortoir et d’un réfectoire communs. En 816, sous l’impulsion de Charlemagne, désireux d’unifier la vie du clergé, le premier concile d’Aix-la-Chapelle rassembla en un corpus normatif les textes patristiques qui, déjà plus ou moins empiriquement réunis, avaient servi de directoires aux chanoines, et reprit pour la vie quotidienne les usages introduits par Chrodegang. Ces dispositions, connues sous le nom de règle d’Aix, permettaient cependant la propriété privée.Sous l’influence du mouvement de la réforme grégorienne (XIe-XIIe s.), des chanoines voulurent mener «la vie apostolique», c’est-à-dire une vie qui, plus que la vie promue par la règle d’Aix, se rapprochât de celle des apôtres à Jérusalem et de celle de la primitive Église, ce qui excluait toute propriété privée. Ce mouvement, déjà largement amorcé, reçut un encouragement officiel au synode de Latran de 1059. La règle d’Aix et les dispositions qui l’accompagnaient (regula prima ) firent l’objet des attaques des réformateurs, méconnaissant parfois l’influence positive que, malgré leurs insuffisances, elles avaient exercé. On se tourna vers l’exemple d’Ausgustin qui, des clercs vivant avec lui, avait exigé la désappropriation personnelle. Mais, sous le titre de Règle de saint Augustin, circulaient à la période médiévale deux textes de nature différente, quoique souvent réunis dans les manuscrits: l’ordo monasterii , dont l’inauthenticité augustinienne est désormais acquise, et le Praeceptum , que vers 397 saint Augustin avait écrit pour un monastère de laïcs. L’ordo monasterii , ou regula secunda , allait inspirer les communautés se réclamant de l’ordo novus : elles sont marquées par leur austérité et les pratiques ascétiques empruntées aux ermites et aux moines. Bien que consonnant peu avec la nature et les tâches de l’ordre canonial, cette option radicale trouva la faveur d’un bon nombre de chanoines, parmi lesquels les prémontrés. Le Praeceptum , ou regula tertia , fut adopté par les communautés canoniales réformées qui conservaient certains usages traditionnels plus modérés en fait d’austérités, en supprimant la propriété privée: ces communautés régulières sont dites de l’ordo antiquus . La frontière entre ces deux types d’observance n’est pas étanche. Ainsi certaines communautés canoniales, comme Saint-Victor de Paris, qui s’en tenaient à l’ordo antiquus , s’inspiraient en d’autres points de l’ordo nouus . En 1118, le pape Gélase II recommanda aux chanoines l’adoption de l’ordo antiquus , qui se conciliait plus aisément, par son inspiration, avec les activités pastorales. Plus encore que la règle de saint Benoît pour les moines, le Praeceptum augustinien ne fixe que les grands principes spirituels. L’observance quotidienne est définie en des textes propres à chaque communauté ou congrégation: les coutumiers. Leur élaboration, faite suivant le fil conducteur de la règle de saint Augustin, marque la fin d’une phase pré-institutionnelle, qui correspond à une époque de transition entre la règle d’Aix et celle de saint Augustin.Désormais, pour distinguer les chanoines réformés, vivant en communauté et pratiquant la pauvreté, des chanoines qui gardaient, avec la règle d’Aix, la propriété de leurs biens et des logis individuels, bien que construits souvent dans le même enclos (le «cloître» des cathédrales ou collégiales), s’imposa l’expression de «chanoines réguliers». Elle comporte un pléonasme qu’au XIIe siècle un adversaire du mouvement canonial régulier, Abélard, prenait plaisir à dénoncer: puisque «chanoine», venant du grec 見益礼益晴礼﨟, veut déjà dire régulier, tandis que «régulier» vient du latin regularis , formé sur regula , la règle.Les congrégations canonialesPar son ampleur et sa puissance d’attraction, ce mouvement canonial médiéval supporte la comparaison avec celui de l’ordre cistercien. Son apogée se situe dans la première moitié du XIIe siècle, qui vit les grandes fondations qui dureront jusqu’aux Temps modernes, avant que les ordres mendiants et un nouvel idéal religieux ne s’imposent au XIIIe siècle.Deux groupes se dessinent dans ce mouvement canonial régulier. De nombreuses collégiales ou cathédrales restèrent autonomes sous l’autorité de l’évêque, qui parfois menait la vie commune avec ses clercs. Les cas les plus fréquents s’en rencontrent dans le midi de la France. D’autres groupes se formèrent et se développèrent en usant de certaines exemptions vis-à-vis de l’autorité épiscopale, encore que souvent leur ait été acquis l’appui actif des évêques, qui voyaient en eux la partie régulière du clergé diocésain. À la tête de ces groupements se rencontre le praepositus dont parle la règle de saint Augustin, et qui souvent a reçu la bénédiction abbatiale. Il est indifféremment désigné par le titre d’abbé ou, surtout dans les pays germaniques, par celui de prévot (Probst ). Ces groupements ont des origines diverses: ermites qui évoluent vers la vie canoniale (chanoines d’Arrouaise dans le nord de la France, du Val-des-Écoliers, au diocèse de Langres); clercs qui quittent des collégiales anciennes pour embrasser une observance plus structurée (chanoines de Saint-Ruf en Avignon); fidèles attirés par une personnalité exceptionnelle, comme celle de saint Norbert, fondateur de l’ordre des Prémontrés; étudiants qui suivent leur maître dans un nouveau genre de vie, comme ceux qui, avec Guillaume de Champeau, fondèrent l’abbaye de Saint-Victor de Paris. Souvent, ces maisons s’unirent entre elles au sein de fédérations ou congrégations. La nature de ces dernières, le nombre de leurs membres (de quelques dizaines à plusieurs milliers) sont très variables, comme leur extension: certaines congrégations restèrent implantées localement, comme les chanoines d’Hérival en Lorraine, d’autres étendirent leurs ramifications en plusieurs pays parfois très lointains, comme la congrégation de Saint-Victor. La vie liturgique y reçut une part prépondérante; cependant, le ministère actif demeura presque partout. C’est un ministère paroissial dans des prieurés-cures dépendant d’une abbaye. Il peut s’agir aussi d’activités hospitalières exercées à l’égard des voyageurs (chanoines réguliers de Saint-Bernard ou de Ronceveau) ou des malades (chanoines réguliers de Saint-Antoine). Le haut enseignement est attesté: un des centres intellectuels européens fut l’abbaye de Saint-Victor de Paris, dans le rayonnement duquel naîtra l’université, et qui donnera naissance par ses maîtres à la théologie et à l’exégèse scientifiques comme à la théologie de la mystique. Bien des communautés canoniales exerceront des tâches éducatives plus modestes: les chanoines formèrent nombre de membres éminents de l’ordre monastique ou des ordres mendiants, notamment plusieurs des grands abbés de Cluny, saint Bernard de Clervaux, saint Dominique ou saint Antoine de Padoue.Le plus puissant mouvement de spiritualité de la fin du Moyen Âge, la devotio moderna , naquit avec la congrégation de Windesheim (1386), qui se répandit en Allemagne et aux Pays-Bas, et qui compte parmi ses représentants Ruusbroec l’admirable et l’auteur présumé de l’Imitation de Jésus-Christ , Thomas a Kempis.Après le concile de Trente, les chanoines réguliers participèrent au mouvement de spiritualité sacerdotale qui fut la gloire du XVIIe siècle français, comme à la réforme pastorale des âges baroques. Ils trouvaient dans ces tâches une analogie profonde avec la réforme grégorienne des XIe-XIIe siècles qui avait vu, quelques siècles plus tôt, leur efflorescence. En France, cette période est marquée par un effort de réforme qui allait de pair avec des vues centralisatrices: il s’agissait d’unir des maisons jusqu’alors indépendantes dans une unique congrégation, celle de Sainte-Geneviève. Bien des communautés, quoique réformées, refusèrent cet abandon des structures fédératives qui avaient été celles du Moyen Âge. L’exemple le plus signalé en est la congrégation de Chancelade en Périgord, dont l’abbé, Alain de Solminihac, devenu évêque de Cahors, compte parmi les prélats représentants de la réforme pastorale du XVIIe siècle.La Révolution française et la sécularisation européenne du début du XIXe siècle supprimèrent la quasi-totalité des maisons canoniales. Seules la Suisse et l’Autriche conservèrent leurs congrégations. Plus tardive que celle de l’ordre monastique, la renaissance de l’ordre canonial commença à la fin du XIXe siècle et se développa au XXe, qui vit la restauration de plusieurs branches anciennes. Au début des années quatre-vingtdix, l’ordre canonial compte dans le monde environ 2 200 membres appartenant à douze congrégations. Sept d’entre elles sont unies en une confédération.
Encyclopédie Universelle. 2012.